Le
Dassault Mirage IV est un bombardier stratégique
français dont les études ont débuté à la moitié des années 1950. Entré en service en
1964, il est le premier vecteur de la « triade » de la dissuasion nucléaire française. Sa carrière durera plus de 40 ans (retrait du service en juin
2005) dont les 10 dernières seront uniquement consacrées à des missions de
Reconnaissance.
Historique
La genèse de la dissuasion nucléaire française sous la IVe République (1952-1958)
Le 18 octobre
1945, le président du gouvernement provisoire de la République française
Charles de Gaulle créée par
Ordonnance no 45-2563 le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) avec pour mission de « mettre en oeuvre l'utilisation de l'énergie atomique dans les domaines de la science, de l'industrie et de la défense nationale » française, bien que ce dernier objectif ne soit pas clairement avoué.
Les études de la bombe A (1952-1958)
L'instabilité des gouvernements de la IVe République ne favorise pas un plan à long-terme visant à doter la
France de l'arme nucléaire. Cependant, le 20 juin
1952, le président du Conseil
Antoine Pinay et son secrétaire d'État aux Finances
Félix Gaillard présentent un projet de loi de programme pour la réalisation du plan de développement de l'énergie atomique (1952-1957), qui prévoit la production d'une quantité significative de
Plutonium. Au sein du même gouvernement, certains sont favorables à l'arme nucléaire, d'autres dubitatifs et d'autres hostiles. Puis, le 20 mai
1954, le ministre de la Défense nationale français
René Pleven consulte officiellement les secrétaires d'État sur un programme nucléaire de défense et le 26 octobre
1954, le président du Conseil Pierre Mendès France signe un décret instituant une Commission supérieure des applications militaires de l'énergie atomique, complété le 4 novembre
1954 par un arrêté créant un Comité des explosifs nucléaires.
Enfin, le 20 mai 1955, sous le sous le 2 e gouvernement Edgar Faure, le CEA, le secrétaire d'État aux Finances et aux Affaires économiques Jean Gilbert-Jules et le ministre de la Défense nationale et des Forces armées Pierre Koenig français signent un accord mettant fin aux débats parlementaires de la IVe République et décident de financer la Bombe A sur la période 1955-1957. Même si elle ne le dit pas, la France est donc décidée en 1955 à rejoindre à l'horizon 1963, pour les plus optimistes, le « club » détenteur de l'arme nucléaire siégant au Conseil de sécurité des Nations unies (les États-Unis dès 1945, l'URSS qui leur emboite le pas en 1949 puis le Royaume-Uni en 1952). D'autres décisions viennent confirmer ce choix par la création le 5 décembre 1956 du Comité des applications militaires de l'énergie atomique (CEMA), le 18 mars 1957 du groupe mixte ministère de la Défense nationale/CEA des expérimentations nucléaires, Par ailleurs, les États-Unis, alors préoccupée par la non-prolifération nucléaire en Europe,, le 11 avril 1958 par une décision du président du Conseil Félix Gaillard de prendre les mesures nécessaires à l'exécution d'une première série d'explosions expérimentales à partir du 1er trimestre 1960 et, enfin, le 22 juillet 1958 par la création Direction des applications militaires (DAM) au sein du CEA. Selon Yves Le Baut, ancien conseiller militaire au CEA puis directeur de la DAM, les États-Unis sont « sur le point de nous imposer une limitation de la libre disposition des matières nucléaires, donc de nous interdire la réalisation d'un armement nucléaire national ». En dépit de ces décisions en faveur de la construction d'une arme nucléaire, demeure le problème du vecteur...
Études et prototypes
L'« avion de représailles » (1955-1958)
Le ministre de la Défense nationale et des Forces armées
Pierre Koenig tranche de façon ambigüe le 13 juillet
1955 le débat entre
Missile et bombardier stratégique à la faveur de la défaite de Đi
ện Biên Ph
ủ. Il demande au secrétaire d'État à l’Armée de l’air de lancer des études sur un appareil
Supersonique apte à voler à basse altitude et dénommé pudiquement « avion de représailles ». Néanmoins, les études demandées le 4 février
1953 puis le 22 mars
1954 par le Service technique de l'aéronautique (STAé) aux industriels ne concernent qu'un
intercepteur léger
« de moins de 4 tonnes, capable de monter à 15 000 m en 4 minutes, de voler en palier à Mach 1,3 pour rattraper par l'arrière un hostile volant à Mach 1 et éloigné de plus de 25 km, de porter un missile de 200 kg, de revenir à sa base et d'attendre cinq minutes à l'atterrissage, avant de se poser à moins de 180 km/h ». Sont proposés plusieurs projets dotés du réacteur
SNECMA Atar 9:
Le secret est de mise sur la descendance en bombardier stratégique nucléaire du futur
intercepteur. Comme le raconte Jean Cabrière, ancien directeur général technique de la
GAMD,
« l'ingénieur en chef Dorleac pose aux ingénieurs de GAMD des questions qui les laissent perplexes et qui tendent vers un avion avec toujours plus de pétrole pour plus de rayon d'action, donc plus gros et plus lourd au détriment des qualités d'agilité qui sont celles d'un bon chasseur. ». De « petites indiscrétions » et l'annonce par la STAé sous le gouvernement Guy Mollet à la mi-octobre
1956 que le chasseur lourd ne sera doté que d'une seule bombe d'une tonne, assez longue (5,5 m) et d'un diamètre de 65 cm font comprendre à la
GAMD et la SNCASO que « les demandes des ingénieurs de l'État tendent à définir un avion de bombardement. »
A la suite du fiasco de la crise du canal de Suez et du processus de Décolonisation, le 16 octobre 1956 la STAé précise les caractéristiques du bombardier, puis le 15 novembre 1956, informe la GAMD qu'elle est retenue face à la SNCASO à la fois pour l'intercepteur Mirage III-A et le bombardier lourd Mirage IV. Cependant, les essais du SO-4060 et du Mirage IV se poursuivront durant deux ans. Le 28 novembre 1956, l'étude du bombardier stratégique équipé de 2 moteurs SNECMA Atar est décidée par le ministre de la Défense nationale et des Forces armées français Pierre Billotte. L'industriel reçoit par courrier des spécifications encore vagues en matière de distance franchissable (de 2 000 à 4 000 km). Il est enjoint « devant les nombreux problèmes que poseront les vols nettement supersoniques de ce prototype (Mach supérieur à 2), d'en entreprendre l'étude sans attendre d'autres précisions sur l'armement », de 1 000 à 2 000 kg, dont le qualificatif de « nucléaire » n'est toujours pas précisé.
En mars 1957, Le Mirage IV est approuvé par le STAé et le marché de fabrication du prototype est notifié en avril 1957, ce qui ne signifie pas qu'un choix définitif est fait en faveur de la formule Mirage. En effet, le prototype SNCASO SO-4060 est en cours de construction à Courbevoie. Ce prototype ne volera pas par manque de temps et d'argent. « Les directives ministérielles demandent un choix pour la fin de 1958 et aucun des deux concurrents ne peut voler à cette date. Fin 1957, le ministre a demandé impérativement à la DTCA de réaliser des économies importantes en donnant la priorité au bombardier de représailles. Ces exigences budgétaires condamnent la version chasseur tout temps du 4060. », aptes à à répondre aux demandes d'autonomie de 5 000 km sans ravitaillement en vol étant donné que les performances estimées en supersonique sont meilleures que celles attendues du Mirage IV-01 (Mach 2+, plafond à Mach 1,8 supérieur à 18 000 m, performances de décollage et d'atterrissage permettant l'utilisation des pistes OTAN de 2 400 m en altitude et par temps chaud) ;
- le Mirage IV-C, d'une surface alaire 70m², propulsé par des réacteurs provisoires SNECMA Atar 9B de 6 tonnes de poussée (avec PC).
Les prototypes
- le Mirage IV-01 de 32 t et d'un rayon d'action de 1 100 km, bien que basé sur le Mirage IV-C, s'en différencie par l'adoption de deux réacteurs SNECMA Atar 9D de 15% de poussée en plus, une cellule rallongée de 1,70 m (afin d'accroitre de 30% la capacité du réservoir avant), une voilure augmentée de 8 m² et un Bord de fuite modifié afin d'y loger un Parachute-frein. Le Mirage IV-01, ne comportant que des équipements d'essais en soute, effectue son 1er vol le 17 juin 1959 à Melun-Villaroche. Lors de son son 3e vol, le 20 juin 1959, il est présenté en démonstration devant le président de la République française Charles de Gaulle au salon du Bourget. Moins de trois mois plus tard, le Mirage IV-B est définitivement abandonné. Le 19 septembre 1960, le Mirage IV-01 bat le record international de vitesse sur 1 000 km en circuit fermé (1 822 km/h) puis, lors de son 138e vol du 23 septembre 1960, il porte le record sur 500 km en circuit fermé à 1 972 km/h de moyenne en volant entre Mach 2,08 et Mach 2,14. Les trois autres prototypes sont commandés fin mars 1960 ;
- Le Mirage IV-02, partiellement équipé, effectue son 1er vol le 12 octobre 1961 ;
- Le Mirage IV-03, équipé du système de navigation et de bombardement (SNB) complet, effectue son vol inaugural le 1er juin 1962 ;
- Le Mirage IV-04 doit « garantir la parfaite conformité de la série ». Son 1er vol a lieu le 23 janvier 1963. Est testée l'utilisation de 12 moteurs-fusée JATO fournissant 5 tonnes de poussée supplémentaire pour faciliter le décollage.
A noter qu'en 1961, le même bureau d'étude mène de front le développement des prototypes et de l'avion de série Mirage IV comme du Mirage III.
La doctrine de la force de frappe sous la Ve République (1959-1967)
Le mot tabou « nucléaire » sera écrit par le président de la République française
Charles de Gaulle, dont l'entrée en fonctions a lieu le 8 janvier
1959. Dès mars 1959, la priorité absolue aux composantes de la Force de frappe (renommée en Force de dissuasion nucléaire) est clairement affirmée et la date de
1964 pour sa mise en service exige le choix de solutions d'aboutissement à court terme. La première loi programme
1960-
1964 prévoit donc la réalisation de la force Mirage IV (avec bombe AN-11 de 60 kt) dont les premières mises en service ont lieu en
1964. La deuxième loi de programme couvrant la période
1965-
1970 prévoit d'achever la mise en place de la force Mirage IV équipée de la
Bombe A, ce qui fut fait en
1967.
La doctrine française de la dissuasion nucléaire immédiate et totale (massive retaliation) ou de « suffisance » en 3 points s'oppose à la doctrine américaine de dissuasion graduée (flexible response) :
- dès 1961, il est demandé à la future Force aérienne stratégique (FAS) « d’infliger à l’URSS une réduction notable, c’est-à-dire environ 50%, de sa fonction économique » ;
- dans la foulée, la priorité donnée à la stratégie « anti-cités » est liée à l'idée de la dissuasion « du faible au fort », réputée être « la plus dissuasive et la moins coûteuse pour une puissance moyenne comme la France », se refuse à détruire les moyens nucléaires adverses, qui entraînerait une guerre nucléaire contre la France métropolitaine ;
- la FAS doit être capable d'exercer les dommages en toutes circonstances, y compris de rétorsion « en second » et ne nécessite pas pour elle de disposer de moyens d’alerte avancée, type AWACS, en particulier parce que l'adversaire majeur est clairement identifié.
Article détaillé : .
Version opérationnelle
Le 1
er avion de série décolle en décembre
1963.
Cellule
Le Mirage IV possède une
Aile delta très fine de 3,5% d'épaisseur relative en position basse et accusant une flèche de 60° au bord d'attaque. Le Mirage IV ressemble à un
Mirage III à l'échelle 2 mais emportant 3 fois plus de combustible. L'
Empennage vertical tronqué est une exception sur un appareil
GAMD et a été décidé par
Marcel Dassault après des « discussions parfois orageuses » avec l'ONERA et à la suite de calculs informatiques effectués « grâce à la société IBM qui a installé depuis peu, place Vendôme, un nouvel ordinateur, le plus puissant existant à l'époque, et cette société va nous autoriser à l'utiliser, mais la nuit seulement. » Un 3
e réservoir d'environ 500 litres est logé dans ce fameux
Empennage dont la grande dimension est nécessitée par le profil très long et très effilé du nez (incorporant la perche fixe de ravitaillement en vol ) qui perturbe la stabilité à
Mach élevé. Au choix du pilote, des transferts de carburant peuvent s'effectuer entre les réservoirs avant et arrière (de 9 000 litres) dans les nourrices centrales afin, à vitesse de croisière
Supersonique, de faire reculer le centrage de l'avion et réduire ainsi sa
Traînée (qui augmente sa consommation et réduit son autonomie) et inversement, de l'arrière vers l'avant, à vitesse
Subsonique. Les alliages en
Aluminium qui composent la structure de l'appareil permettent l'adoption de réservoirs de carburant structuraux. Les entrées d'air des réacteurs
SNECMA Atar 9K de 65 k
N de poussée, renforcées en
Acier et
Titane possèdent des demi-cônes mobiles portant le surnom de « souris » qui doivent soutenir une température maximale de 120°
Celsius. Le Mirage IV est doté d'
élevons et d'
aérofreins, plus d'un
Parachute. Si les
servocommandes renforcées de
Titane sont hydrauliques, elles reçoivent des commandes de vol électriques, qui deviendront une spécialité de
Dassault Aviation.
Cockpit
L'avion est biplace, les études du Système de navigation et de bombardement (SNB) ayant exigé la présence d'un navigateur. Le pilote est chargé de la conduite du vol; il est assis bien en avant des entrées d'air des réacteurs, dans un habitacle équipé de l'
air conditionné et protégé des effets de l'échauffement
Cinétique. L'absence de viseur tête haute à glace frontale (
Head-up Display) permet un dessin de pare-brise en V, plus résistant. Le pilote dispose notamment sur sa planche de bord d'un
Horizon artificiel directeur de vol et d'un autre de secours, d'une indicateur d'
Incidence, d'un radio
Altimètre et d'un de secours, d'un accéléromètre, d'un
tachymètre et d'un machmètre de secours, d'un débimètre, d'un indicateur de
contre-mesures, d'un
Radiocompas de secours, etc.
Placé dans un habitacle qui ne comporte que deux petites hublots latéraux, le navigateur est chargé de la manipulation et de la surveillance d'un certain nombre de systèmes, dont le radar cartographique Thomson-CSF placé sous le ventre de l'appareil. Le navigateur dispose notamment sur sa planche de bord d'un détecteur d'alerte radar Thomson-CSF type BF, d'un appareil de visée du même radar, d'un indicateur de visualisation de contre-mesures, d'un dispositif de visée optique asservi, d'un Horizon artificiel de secours, d'un radioAltimètre, d'un Anémomètre, d'un boîtier de décodage suite à l'actionnement du fameux « bouton rouge » (en fait, une double clé) par le Président de la République française, etc.
Pilote et navigateur sont sanglés sur des sièges éjectables Martin-Baker Mk4.
Système d'arme
Le Système de navigation et de bombardement (SNB) est géré par un calculateur central
Analogique, relié à l'ensemble des autres sous-équipements du SNB et constitue le plus puissant système installé à l'époque sur un avion de combat européen. Il est le précurseur des
bus informatiques actuels. Il regroupe 25 blocs électromécaniques d'
Asservissement, plus de 200 machines tournantes (moteur, synchroniseurs, resolvers,
potentiomètres) et 120 amplificateurs ou
circuits électroniques. Le SNB permet, d'une part, la navigation sur pilote automatique du point de départ du Mirage IV au voisinage immédiat de points précis (rendez-vous de ravitaillement en vol, point de largage), d'autre part, le largage de la bombe, qu'il décide automatiquement.
Capteurs d'information
Ils comprennent un
Radar Doppler Marconi fournissant la vitesse sol et, principalement, un radar panoramique ventral à antenne plate (CSF) fournissant le recalage précis par tous temps. Le SNB comprend en outre une centrale directionnelle à deux
gyroscopes Sperry Gyroscope, une centrale aérodynamique Kelvin Hugues/Jaeger) fusionnant les données d'
anémométrie et d'
Altimétrie.
Le Radar ventral est remplacé en 1986 par un Radar Doppler à impulsions tous temps Thomson-CSF Appareil de Recalage et de CArtographie pour NAvigation aveugle (ARCANA), dérivé de l'Iguane et du VARAN.
Système de contre-mesures
Le système de
contre-mesures comprenant trois détecteurs-brouilleurs : Agacette pour contrer les radars des avions d'interception dans une gamme de fréquences comprises entre 8 et 10 GHz, deux autres, l'un monté dans une nacelle CT51, l'autre Agasol en bouts d'aile contre les missiles SAM soviétiques (qui sera remplacé par le système
Thomson-CSF SERVAL en
1983 en vue de la transformation en Mirage IVP). Des emplacements sont réservés pour des lance-leurres Alkan F1A en soute arrière tirant des cartouches électromagnétiques ou
infrarouges de 40 mm et un pod Philips-Matra Phimat montés sur les pylônes extérieurs de voilure (qui seront remplacés par le remplacé par le pod
Thales BARAX-NG et un pod lance leurres
Thomson-CSF/Bofors BOZ 103 contenant des paquets de paillettes électromagnétiques et 18 cartouches
infrarouges de 50 mm en
1983). A la même époque, le Mirage IVP est doté de la nacelle
Thomson-CSF Barracuda réalisant à la fois la réception des menaces radar et les actions de brouillage sous contrôle d'un logiciel modulaire permettant sa programmation.
Nacelle de reconnaissance CT52
Un pod de
Reconnaissance CT52 de 5,80 m de long et de 0,80 m de large et d'une masse de 800 kg peut être installé dans l'emplacement dévolu à l'arme nucléaire. Il est divisé en trois compartiments distincts. Le premier, à l'avant, loge 4
caméras utilisables à basse altitude (150 à 10 000 pieds) : une
Caméra nasale Omera 35 de 150 mm de
focale photographiant vers l’avant sur un angle de 42°, puis une Omera 35 verticale de 75 mm suivie par 2 autres obliques gauche et droite de 150 mm photographiant ensemble sur un angle de 152°. Le second compartiment, au centre, loge 4
caméras utilisables à haute altitude à vitesse subsonique ou supersonique (10 000 à 60 000 pieds) : une Wild Omera cartographique RC-8F verticale de 152 mm de
focale photographiant sur 74° et 3 Omera 36 verticale et oblique de 600 mm photographiant entre 29° et 50°. Les 3 Omera 36 peuvent être remplacées par un ensemble thermographique infrarouge SAT Super Cyclope jour/nuit). Le CT52 permet de couvrir une largeur égale à 8 fois celle de l’altitude de l’avion. Les photographies argentiques sont en noir et blanc, les émulsions couleurs sont rarement employées.
La Force aérienne stratégique (FAS) (1964-)
Dès janvier
1964, la politique de défense nationale
française, privilégiant désormais la dissuasion nucléaire, entraîne la réorganisation complète de l’armée de l'Air avec la création de 4 régions aériennes et 7 grands commandements spécialisés, dont le commandement de la Force aérienne stratégique (ou des Forces aériennes stratégiques) (CoFAS). Le Mirage IV et l'
Avion ravitailleur Multi-Role Tanker Transport (MRTT)
Boeing C-135F sont les binômes de la FAS. Le 7 mars
1966, le président de la République
Charles de Gaulle, partisan d'une réforme doctrinale de l'OTAN annonce au président des Etats-Unis Lyndon Johnson le retrait de la
France du Commandement intégré de l'organisation.
Profils de vol (1964-1966) et implantations (1964-2005)
La mission du Mirage IV consiste, à partir d'un avion volant en supersonique (
Mach 1,7) à haute altitude (18 000 m), à délivrer de façon aussi discrète que possible une bombe nucléaire « sur un but déterminé par ses seules coordonnées géographiques », avec une erreur circulaire probable (ECP) à 90 % garantie (
{CEP } 90 ), quelle que soit la distance parcourue depuis le départ et un dernier sans ravitaillement en vol permettant d'atteindre le
Bloc de l'Est hors URSS. En 1968, au plus fort de la dotation, 62 Mirage IV (dont 18 en alerte opérationnelle) forment l'ossature de 3 escadres de bombardement représentant 9 escadrons de bombardement (EB) et 1 d'entraînement :
-
- l'EB 1/91 « Gascogne » créé le 1er octobre 1964 sur la BA 118 à Mont-de-Marsan ;
- l'EB 2/94 « Marne » le 24 février 1965 sur la BA 113 à Saint-Dizier ;
- l'EB 2/91 « Bretagne » le 1er avril 1965, sur la BA 120 à Cazaux ;
- l'EB 3/91 « Beauvaisis » le 1er juin 1965 sur la BA 110 à Creil ;
- l'EB 3/93 « Sambre » le 6 juillet 1965 sur la BA 103 à Cambrai ;
- l'EB 2/93 « Cévennes » le 31 juillet 1965sur la BA 115 à Orange ;
- l'EB 1/93 « Guyenne » le 15 octobre 1965sur la BA 125 à Istres ;
- l'EB 1/94 « Bourbonnais » le 1er mars 1966 sur la BA 702 à Avord ;
- l'EB 3/94 « Arbois » le 1er juin 1966sur la BA 116 à Luxeuil ;
- le Centre d'instruction des Forces aériennes stratégiques (CIFAS) no 328 créé le 25 mai 1964 sur la BA 106 à Bordeaux.
S'y adjoignent 12 avions ravitailleurs Boeing C-135F (dont 3 en alerte opérationnelle), dispersés en 3 escadrons (ERV) :
- l'ERV 4/91 « Landes » créé le 1er janvier 1964 sur la BA 118 à Mont-de-Marsan ;
- l'ERV 4/94 « Aunis » le 13 juillet 1965 sur la BA 125 à Istres ;
- l'ERV 2/93 « Sologne » le 15 avril 1966 sur la BA 702 à Avord.
Enfin, s'y rajoutent :
- le QG de la FAS sur la BA 921 sous la forêt de Montmorency ;
- la BA 200, créée en avril 1967 sous le Plateau d'Albion.
Ne dépendant pas de la FAS, plusieurs installations ont été utilisées par celle-ci :
- le Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP) en Polynésie française, créé 1er juillet 1963, comprenant :
À noter que le DC-8 Sarigue de Guerre électronique SIGINT (ROEM en français), quoique dépendant du Centre d'essais en vol (CEV) de la BA 110 à Creil, a servi au profit de la FAS afin de connnaitre depuis l'espace aérien international l'état des défenses aériennes soviétiques et ainsi préparer au mieux les missions des Mirage IV. Il est basé à :
- l'EE 51 « Aubrac » sur la BA 105 à Évreux.
Rappelons enfin qu'au moins deux C-160G Gabriel SIGINT ont également rempli des missions pour la FAS. Ils sont basés à :
- l'EE 11/54 « Dunkerque » sur la BA 128 à Metz.
Article détaillé : .
La force Alpha, le retrait de l'OTAN et l'opération Tamouré (1965-1966)
A l'été
1965, la Marine nationale française créée le
Groupe aéronaval du Pacifique (dit groupe Alpha puis force Alpha) comprenant sept bâtiments dont le
Foch qui appareillent le 23 mars
1966 de
Toulon et abordent la Polynésie française le 22 mai
1966 afin de superviser les essais atmosphériques
no 18 Aldébaran,
no 19 Tamouré,
no 20 Ganymède et
no 21 Bételgeuse. Durant la traversée, la
France quitte le commandement intégré de l'OTAN pour les raisons déjà précisées.
Opération Tamouré (10 mai - 28 août 1966)
L'objectif de Tamouré est le convoyage au départ de la BA 118 de Mont-de-Marsan (France métropolitaine) d'un Mirage IV de l'EB-1/91 « Gascogne » et de deux ravitailleurs en vol
Boeing C-135F
no 736 et
no 470 de l'ERV 4/91 « Landes » à 20 000 km pour effectuer un tir réel de l'AN-21 de 60 kt (dérivée de l'AN-11) au Centre d'expérimentation du Pacifique. Le 10 mai
1966 à 9 h GMT, le Mirage IV
no 36 s'envole pour la 1
re traversée transatlantique de 7h40 d'un avion de combat français à destination de l', à Falmouth (
États-Unis). Après trois escales, le Mirage IV est endommagé lors de son atterrissage sur la piste de 3 380 m de la BA 185 à
Hao (Polynésie française). Son renvoi en France métropolitaine par mer est décidé tandis que le Mirage IV
no 9 le remplace au pied levé. Le 12 juin
1966, la Marine nationale française repère dans la zone d'exclusion le bâtiment de recherches scientifiques américain USS
Belmont puis, le 1
er juillet
1966, un sous-marin de nationalité inconnue et un avion ravitailleur (vraisemblablement d'observation et de recueil de prélèvements atomiques)
KC-135 de l'US Air Force
no 9164. Le 9 juillet
1966, le navire de contrôle de missiles et d'engins spatiaux USS
Richfield viole à son tour la zone d'exclusion. Le 12 juillet
1966, le même
KC-135 de l'US Air Force est à nouveau repéré à la veille du tir, qui sera reporté pour raisons
météorologiques à quatre reprises. Le 18 juillet
1966, des conditions favorables relevées jusqu’à 5 000 km du champ de tir par les stations météorologiques et par les
C-135F entraînent la mise en alerte du Mirage IV le 19 juillet
1966 à 4 h locales. A 5 h 05, il largue sa bombe AN-21 à chute libre
no 2070 au large de Moruroa. Le
KC-135 de l'USAF et le USS
Richfield de l'
US Navy sont aperçus une heure après le tir. Dès la formation du nuage atomique, quelques uns des 10
SO-4050 Vautour N et B de l’escadron de marche 85 « Loire », débarqués à la BA 185 à
Hao le 16 mai
1966, effectuent les prélèvements des retombées par tir de missile air-air ou, plus dangereusement, par la traversée du champignon atomique. La plupart seront coulés par le fond
,.
A noter qu'un autre tir, Bételgeuse, prévu le 10 septembre 1966 sur ordre du président de la République Charles de Gaulle à bord du croiseur De Grasse (C 610), est retardé au 11 septembre 1966 à la suite de la demande américaine (le 8 septembre 1966) d'aider au repêchage de la capsule spatiale Gemini 11 et du repérage de l'USS Richfield (le 9 septembre 1966). Après deux autres tirs le 24 septembre 1966 et le 4 octobre 1966, le groupe aéronaval quitte la Polynésie française le 2 novembre 1966.
Le Mirage IV ne sera plus jamais sollicité pour des exercices réels de tirs atomiques, notamment lors du 2e déplacement de la force Alpha en Polynésie française pour le 1er tir français d'une Bombe H, le 28 août 1968. Article détaillé : .
Les profils de mission changent (1966)
En
1966, l'armée de l'Air s'aperçoit que les missions à haute vitesse et haute altitude deviennent de plus en plus risquées en raison de la mise en service par l'URSS et le
Pacte de Varsovie des missiles sol-air (SAM)
Mach 3,5 et de 40 km de portée Guideline, Goa et Gainful. Alors que de nouvelles composantes de la « triade » stratégique
française se mettent en place (les missiles balistiques du
Plateau d'Albion et ceux tirés de SNLE de la Force océanique stratégique), une évolution des profils de mission changent pour permettre la pénétration à très basse altitude (jusqu'à moins de 200 mètres du sol à 800 km/h) et le largage de la bombe AN-22 de 70 kt avec
Parachute en manoeuvre tactique
Low Angle Drogue Delivery (LADD). Pour ce faire, les structures de l'avion sont renforcées, le SNB et les équipements sont améliorés. Enfin, les appareils perdent leur livrée aluminium à dérive tricolore et reçoivent un
Camouflage gris/vert.
La transformation en Mirage IVP (1981-1986)
Le retrait du Mirage IV, prévu en
1976 a déjà été repoussée à
1985. Alors que seuls les Mirage IV de reconnaissance dotés du pod CT52 auraient dû être les seuls à demeurer en service, en octobre
1979 le ministère de la Défense français prend la décision de transformer 15 Mirage IVA en Mirage IV 'N' (pour Nucléaire) puis 'P' (pour Pénétration). Finalement, 18 avions sont modifiés et désignés alors Mirage IVP, à la faveur de l'arrivée du missile
Aérospatiale ASMP, destiné à remplacer l'AN-22, et dont le contrat de développement est signé en avril
1978. Ce missile pré-stratégique est en fait un missile de croisière
Mach 3, propulsé par un
Statoréacteur à kérosène. Dans un premier temps, le prototype Mirage IV-04 est utilisé pour les tests statiques de l'
ASMP. En
1981, les Mirage IV
no 8 et
no 28 mènent les premiers tirs d'une maquette de l'
ASMP. Les lancements véritables commencèrent en juin
1983 pour s'achever à la mi-
1985. Le Mirage IVP est opérationnel à partir de mai
1986. En
1983, le retrait du service du Mirage IVP est une nouvelle fois repoussé à
1996. A la même époque, la mission de bombardement nucléaire est cependant confiée au nouveau
Mirage 2000N. Débute pour le Mirage IV une nouvelle carrière...
Les missions de reconnaissance (1995-2005)
Seuls 8 (puis 7, puis 6, puis 5 en septembre
2003) Mirage IVP « dénucléarisés » sont conservés pour des missions de reconnaissance à longue distance au sein de l'Escadron de reconnaissance stratégique ERS 1/91 « Gascogne » tandis que le reliquat finit sa carrière au « cimetière » de la BA 279 Châteaudun. Le Mirage IVP est alors le seul avion de reconnaissance stratégique au monde, avec le
U2, toutefois peu adapté à certaines missions en raison de son plafond trop haut et de sa vitesse
Subsonique. Sa carrière se prolongera de 9 ans supplémentaires.
Opération Deliberate Force (29 août - 14 septembre 1995)
Un nombre inconnu de Mirage IV de la BA 118 participe avec quelques Mirage 2000D à l' de l'OTAN/ONU en
Bosnie, visant à sécuriser les éléments de la
FORPRONU dans leurs « zones neutres » () par la destruction de l'
Artillerie, des postes de commandement, des installations militaires et des moyens de communication de la Bosnian Serb Army (BSA)
Article détaillé : .
Opération Condor (juin 1996 - décembre 1998)
Un nombre inconnu de Mirage IVP est détaché à
Djibouti dans le cadre de l'opération Condor de l'ONU, confiée à la
France, visant à superviser les opérations de médiation et de surveillance d'un cessez-le-feu entre entre le
Yémen et l'
Érythrée dans le conflit qui les oppose à propos des îles Hanish.
Opération Allied Force/Trident (23 mars - 10 juin 1999)
Faisant suite à l'opération française Salamandre (1996) à
Mostar et
Sarajevo, trois Mirage IVP de l'ERS 1/91 sont détachés sur la BA 126 à Solenzara, en Corse dans le cadre de l'opération Allied Force/Trident de l'OTAN durant la
Guerre du Kosovo, qui mobilise plus d'une centaine d'aéronefs de l'
Armée de l'air et de l'
Aviation navale du porte-avions Charles-de-Gaulle ainsi que 6 500 militaires français au sol. La mission des Mirage IVP consiste à survoler la
Serbie deux fois par jour, à l'aller (traversée à faible vitesse de l’
Italie entre Rome et
Pescara, 1
er ravitaillement en vol par
C-135FR au dessus de la
Mer Adriatique, puis survol de la
Serbie à
Mach 1,8 et 45 000-50 000 pieds) comme au retour (2
e ravitaillement en vol au dessus de l'
Adriatique, nouveau survol de la
Serbie et 3
e ravitaillement). Après développement, les films étaient acheminés, au début de l’opération, par l'
Alpha Jet de l'ERS 1/91 à
Vicenza, siège de l’État-major de l'OTAN, puis, par la suite, par transfert informatique. En parallèle, les images obtenues étaient aussi transférées sur la BA 110 à Creil, siège de la Direction du renseignement militaire (DRM).
Article détaillé : .
Opération Heraclès (21 octobre 2001 -)
Deux Mirage IVP et deux
C-135FR sont détachés sur la de la aux
Émirats arabes unis dans le cadre de l'opération française Heraclès durant la guerre d'Afghanistan, qui mobilise des
Mirage 2000 puis
Rafale de l'
Armée de l'air et de l'
Aviation navale du porte-avions Charles-de-Gaulle, plusieurs autres navires ainsi que 2 200 militaires français au sol. La mission de six heures des Mirage IVP consiste à survoler l'
Afghanistan une fois par jour aller (traversée de la
mer d’Oman, survol par le sud du
Pakistan, 1
er ravitaillement en vol par
C-135FR au dessus de l'Afghanistan, mission de reconnaissance d'une heure 40) et retour (après un 2
e ravitaillement). Les Mirage IVP regagnent la France métropolitaine en février
2002.
Opération Tarpan (21 février 2003 - 19 mars 2003)
Article détaillé : . Faisant suite à l'opération Aladin (1998), deux Mirage IV en livrée gris/vert portant le sigle 'UN' sur la dérive et deux
C-135FR s'envollent de la BA 125 d'
Istres le 21 février
2003 et sont déployés sur la de la à Al Kharj en
Arabie saoudite dans le cadre de l'opération Tarpan de l'ONU, visant à épauler les inspecteurs en désarmement qui sillonnent l'
Irak à sa demande. Les missions débutent le 26 février
2003 à raison d’un vol quotidien en moyenne d’une durée de 4 à 5 heures. Les deux Mirage IV photographient environ 110 000 km² du territoire iraqien au cours, selon le ministre de la Défense français Michèle Alliot-Marie, « de missions planifiées de survol de l'Iraq, qui auront été préparées avec les inspecteurs, et d'autre part , la possibilité que les Mirage IV effectuent des missions d'opportunité sur certains sites , des missions qui sont fixées en dernière minute, par exemple le matin même, à la demande des observateurs en Iraq. » Bien que certains survols sont « illuminés » par la
DCA iraquienne, ils se déroulent à vitesse
Subsonique et à moyenne altitude. La
France comme l'ONU peuvent visionner les photos quelques heures à peine après le survol des objectifs pour identifier les zones « suspectes » supposées abriter des armes de destruction massive. Alors que les avions regagnent la BA 118 à
Mont-de-Marsan le 19 mars
2003, le lendemain, la coalition américano-britannique envahit l'
Iraq.
Divers
Contacts à l'export
En
1962, suite à l'abandon par les
États-Unis du missile balistique aéroporté AGM-48 Skybolt qui devait équiper les
bombardiers stratégiques transsoniques à long rayon d'action britanniques
Avro Vulcan puis le 6 avril
1965, suite à l'abandon du
bombardier stratégique BAC TSR-2, la
Royal Air Force envoie des pilotes essayer le Mirage IV, déjà en service. Est alors envisagée la livraison ou la production sous licence de quatre-vingt Mirage IV à l'horizon
1968, rallongés de 61 cm, équipés de réacteurs
Rolls-Royce Spey 25R plus puissants (93.4 k
N de poussée chacun) et conservant l'avionique du
BAC TSR-2. Pour des raisons politiques, le
Royaume-Uni renonce au Mirage IV pour lui préférer le
bombardier stratégique américain à
Géométrie variable General Dynamics F-111 en faveur duquel le Premier ministre
Harold Wilson s'est secrètement engagé. Pour des raisons de coût, la
Royal Air Force se contentera finalement de l'avion d'attaque
Blackburn Buccaneer et ne possèdera plus de
bombardier stratégique nucléaire à partir de
1970. La Royal Australian Air Force et l'armée de l'Air israélienne auraient manifesté un temps un intérêt pour le Mirage IV. L'
Australie, qui avait acquis des
Mirage III, achète finalement des F-111.
Voir aussi
Autour de l'avion
Livres
Articles de référence
- Bernard Bombeau, « Le Mirage IV : premier vecteur atomique français », dans Air & Cosmos (ISSN 1240-3113), no 1993 (22 juillet 2005)
Jeux video
Liens externes
Articles connexes- Liste des avions militaires
Notes et références
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